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mercredi 2 octobre 2013

L'épineuse question du dopage au sein du rugby

Source photo : L'Indépendant.
Le dopage est une pratique qui remonte aux premiers instants de vie du sport. Avec les avancées techniques et médicales, la pratique est devenue de plus en plus courante, mais aussi banalisée, dans un monde où le professionnalisme est la carotte pour tous les jeunes sportifs.

La sphère du rugby a été frappée par un scandale il y a quelques mois, en mars dernier. Françoise Lasne, directrice du département des analyses de l’AFLD (Agence Française de Lutte contre le Dopage), a publié une enquête dévoilant les sports les plus touchés par le dopage en France en 2012. Si la plupart du grand public s’attendait à voir arriver le cyclisme en tête du classement, c’est finalement le rugby qui décroche la malheureuse première place du palmarès. Elle a précisé que le produit qui était le plus souvent détecté était le cannabis. Après ces révélations, les people du rugby se sont agités réglant leur compte par médias interposés
Mourad Boudjellal, président de Toulon, a d’ailleurs déclaré : « On parle de cannabis. Ceux qui prennent du cannabis savent qu’on ne peut pas ensuite traverser un terrain avec ça. J’encourage donc cette dame à prendre du cannabis pour savoir de quoi elle parle ». Provoc’ de la part du diablotin du rugby qui essayait, tant bien que mal, de défendre le sport qu’il  plébiscite, mais également pour son club qui depuis plusieurs mois est dans la ligne de mire de l’AFLD.

Serge Simon. Source photo : L'Equipe.
Les instances du rugby se sont également rebellées de leur côté. Pierre Camou (FFR), Paul Goze (LNR) et Serge Simon (président de Provale) ont publié un communiqué dans lequel ils se disaient « choqués par les déclarations de Madame la Directrice du département des analyses de l’AFLD et sur les interprétations qui en ont immédiatement été faites ».
Une chose est sûre, le rugby est blessé en plein cœur de ces résultats, lui qui se dit porteur de valeurs pour la vie, aussi bien sur le terrain qu’en dehors.

Il ne faut pas oublier qu’en plus de tricher et donc de bafouer les fondements du sport, un joueur dopé s’expose à de graves conséquences pour sa santé.
Il existe 5 grandes familles de produits dopants : 
* les stimulants (amphétamine, cocaïne et autres dérivés)
* les anabolisants (dérivés de la testostérone)
* les gluco-corticostéroïdes (substances qui évitent la fatigue)
* les narcotiques (engourdissement de la sensibilité musculaire)
* les bétabloquants (ralentissement du rythme cardiaque).

Source photo : L'Humanité.
Chacun de ce produits ont quelques graves effets secondaires, tels que des troubles psychiques, des déchirures musculaires, des troubles graves du foie, du système cardiovasculaire, une dépendance, des dépressions, l’impuissance sexuelle, des cancers (cerveau, foie, estomac) voire la mort.
Sur les 3 dernières années, de récentes morts de jeunes joueurs amateurs (entre 13 et 19 ans) sont pointées du doigt. Il se murmure que des produits dopants cités plus haut sont responsables de leur décès. En effet, est-il normal qu’un jeune homme sans aucun antécédent  médical noté décède brusquement ?

Si les conséquences sur la santé sont connues de tous les joueurs, certains n’hésitent pourtant pas à sauter le pas pour espérer pouvoir décrocher un contrat avec un club.
Bien qu’au premier plan et les premiers concernés, peu de joueurs s’expriment sur le sujet. Le dopage reste actuellement un sujet tabou dans le milieu du sport.
J’ai eu l’occasion d’interviewer trois joueurs totalement différents venant de niveaux divers. Par soucis de confidentialité, je partage avec vous ces trois entretiens en garantissant un parfait anonymat aux joueurs contactés.

Joueur A
Top 14
24 ans

Ariane Piot : Les résultats de l’enquête de l'Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD) vous ont-ils surpris ?
Joueur A : En tout premier lieu oui, puisqu’aucun joueur (du moins du club) n’a été mis au courant de cette enquête et honnêtement, nous nous attentions tous à ce que le cyclisme soit le premier sport touché. Malgré l’annonce brutale des résultats, il est important que l’AFLD ait communiqué le « palmarès » des sports qui comptent le plus de dopés car malheureusement de nombreux joueurs, surtout de jeunes débutants cherchant à percer, encourent de graves soucis de santé en consommant ces merdes. Mais personne ne s’attendait à un tel tollé et surtout un te remue-ménage dans la sphère rugby.

AP : Avez-vous déjà pris des produits dopants depuis que vous jouez ?
Joueur A : Non. Depuis que je joue, mon médecin m’a toujours averti des risques que je prenais si je me dopais. Etant un peu hypocondriaque et flippé, j’ai préféré me tenir à l’écart de tout ça !
Mais quand j’étais gamin, vers 12-13 ans, un des membres du staff du club dans lequel j’évoluais parlait de choses un peu glauques aux mômes, surtout à ceux qui avaient comme ambition de faire du rugby leur vie. Dont moi, entre autres…

AP : Des « choses glauques », c’est-à-dire ?
Joueur A : Des produits circulaient pas mal dans les vestiaires. Parfois c’était même le staff médical qui abordait le  sujet, comme quoi nous serions plus forts, plus performants, plus musclés et donc plus doués.

AP : Et c’était quel type de produits ?
Joueur A : Je ne suis pas un as du dopage, mais les produits étaient les produits classiques, comme des hormones de croissance ou des stéroïdes anabolisants.

AP : Mais en vous proposant de telles choses, étaient-ils bien conscients qu’ils exposaient des mineurs à l’illégalité et à une certaine dangerosité ?
Joueur A : Normalement oui, des adultes savent pertinemment les risques auxquels ils s’exposent, eux et leurs joueurs.

AP : Vos coéquipiers en avait-il consommé ?
Joueur A : Certains oui. Mais personne ne les a soupçonnés donc ils s’en sont allégrement sortis, sans bavure. Dans mon club actuel, je n’ai aucun doute sur la « propreté » des joueurs. En même temps à notre niveau, il serait suicidaire de jouer avec le feu et de s’exposer à de lourdes peines pour quelques facultés physiques supplémentaires.

AP : La pression du professionnalisme ne vous a-t-elle jamais donné envie de prendre des produits dopants afin de rester au mieux de votre forme ?
Joueur A : Jamais. Le professionnalisme ne m’a jamais fait peur, et il me fait actuellement vivre, aussi bien financièrement que spirituellement. Je suis fier d’être là où j’en suis actuellement, puisque j’y suis arrivé avec la sueur de mon front, et non pas avec l’aide de stéroïdes. Je dois ma venue au club à mon travail.

AP : Les contrôles anti-dopage mis en place par sont-ils efficaces et font-ils réellement peur aux joueurs professionnels ?
Joueur A : Il est évident qu’aucun joueur n’aime être dérangé chez lui le week-end à 9 heures du matin, mais il faut se faire aux règles, c’est comme ça. Le « test-pipi » n’est pas agréable, mais si le joueur n’a rien à se reprocher, ce test se fait rapidement et les contrôles sont vite oubliés. Après, avec les grandes sanctions que l’AFLD promet, il est clair qu’il est très périlleux de prendre le risque de se faire coincer, et je pense qu’une grande majorité des joueurs professionnels l’ont compris.

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Joueur B
Fédérale 1
22 ans

Ariane Piot : On sait actuellement que le rugby est le sport en France le plus touché par le dopage. Selon vous, ces consommations illégales sont-elles plus fréquentes à haut niveau ou en fédérale ?
Joueur B : Certainement en fédérale, car les contrôles sont moins stricts et moins fréquent qu’en Top 14, par exemple, où certains joueurs peuvent être contrôlés plusieurs fois en quelques mois à peine. Mais il y a quand même une certaine surveillance en fédérale, n’exagérons rien !

AP : Ces fameux résultats vous ont-ils étonné ?
Joueur B : Oui et non. Oui parce que tout le monde s’attendait à ce que l’athlé ou le cyclisme décroche la médaille d’or du dopage. Et non parce que cette enquête prenait aussi en compte les joueurs amateurs. Or il n’est pas inconnu du grand public que quelques jeunes joueurs ont plusieurs fois consommé des produits leur permettant d’être plus résistants à l’effort. Mais il faut aussi prendre en compte que cette enquête compte comme produits dopants le cannabis, par exemple. Je ne dis pas qu’il est bien de fumer du cannabis, mais à titre personnel, je ne pense pas que ce soit un produit dopant et beaucoup de jeunes (rugbymen ou non) en ont déjà consommé.

Source : Rugbyrama.
AP : Durant tout votre parcours dans le sport, avez-vous déjà consommé des produits dopants ?
Joueur B : Jamais. J’ai été éduqué dans l’optique qu’il faut bosser pour récolter ce à quoi on aspire. Je joue au rugby depuis que je suis tout gamin (7 ou 8 ans) et même si plusieurs fois j’ai connu des passes difficiles, je n’aurais jamais pensé à consommer ce genre de choses. Et puis j’aurais trop peur de me faire chopper ! Et de toi à moi, connaissant certains membres de ma famille, notamment ma mère et ma sœur, si je m’étais dopé, la sanction de la lutte contre le dopage aurait été minime face à celle infligée par mes proches !

AP : Et vos coéquipiers, que ce soit dans votre équipe actuelle ou les précédentes ?
Joueur B : Je ne suis pas le genre d’individu qui pratique la délation.

AP : Ça veut dire oui ?
Joueur B : Peut-être.

AP : Comment pourrait-on lutter contre le dopage ?
Joueur B : Il y a deux solutions complémentaires : imposer des contrôles plus fréquents et surtout, des sanctions plus lourdes. Selon moi, un joueur qui a triché ne devrait plus avoir le droit de pratiquer, quel que soit le sport.

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Joueur C
Fédérale 2
17 ans

Ariane Piot : La Fédérale 2 est-elle plus touchée par le dopage que les divisions supérieures ?
Joueur C : Je pense que oui. Malheureusement, plus on descend dans les divisions, et plus les gars se battent presque entre eux pour pouvoir se faire une place, un nom dans le milieu. Plusieurs ont succombé à la tentation et ont été recrutés par des plus gros clubs. Mais il ne faut pas non plus penser que le dopage ne touche que les « petits jeunes » de fédérale ou des centres de formation !

AP : Avez-vous déjà consommé des produits dopants ?
Joueur C : Oui, pendant plusieurs mois.

AP : Quels types et comment vous les êtes-vous fournis ?
Joueur C : Des anabolisants, achetés sur internet.

AP : Actuellement, quelqu’un de votre entourage (perso ou rugbystique) est-il au courant ?
Joueur C : Non.

Source photo : Rugby the best.
AP : Pas peur de vous faire coincer ?
Joueur C : Je n’en consomme plus depuis pas mal de temps, donc je ne pense pas que l’AFLD (Agence Française de Lutte contre le Dopage) puisse remonter jusqu’à moi.

AP : Vous n’éprouvez donc aucun sentiment de culpabilité ?
Joueur C : J’ai arrêté, on peut dire que c’était une erreur de jeunesse. Quand j’ai appris que ces produits pouvaient avoir de graves effets sur la santé, j’ai immédiatement espacé les prises pour finalement les arrêter.

AP : Avec du recul, quel regard portez-vous sur la pratique du dopage ?
Joueur C : Comme je t’ai dit tout à l’heure, beaucoup de jeunes joueurs entre 14 et 19 ans sont victimes d’une pression gigantesque sur les épaules. On doit être bons partout : en cours, au rugby, en dehors du terrain, dans les relations amicales, familiales,… Malheureusement, pour supporter ce stress, des jeunes consomment ces choses. Mais pour être tombé là-dedans, je peux témoigner que c’est mal. On vit dans la peur de se faire contrôler et donc de sombrer.
J’espère que les chiffres baisseront et que le rugby sera moins touché par le dopage.



>> Un énorme merci aux 3 joueurs qui ont accepté de répondre à mes nombreuses questions. Merci pour leur patience, leur confiance et leur sympathie

7 commentaires:

  1. Très bon article comme toujours !
    Article très complet et très bien documenté.

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  2. Sujet épineux, mais non sans importance. C'est pour ça qu'il est important d'en parler aussi bien dans les blogs que dans les média. Il faut briser le tabou pour éradiquer le problème.

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  3. C'est inquiétant de voir que des produits illégaux circulent aussi facilement et qu'il est aisément possible de s'en procurer. J'ai toujours eu une certaine animosité face aux dopés : un tricheur devrait être plus gravement puni.
    En tout cas félicitations pour cet article très complet qui a du te prendre beaucoup de temps pour réunir toutes les infos et les propos des joueurs.

    Très bon boulot !

    (oui, commentaire très matinal mais Hugues n'est pas très discret quand il se lève le matin !)

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  4. A force de fouiner comme ça tu vas être embauchée par Elice Lucet, pour "Cash Investigation" !

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    Réponses
    1. Je suis encore une padawan du fouinage, j'ai beaucoup à apprendre ;)
      Dans le même genre, il y a aussi Marie Drucker qui aime fouiner ahah

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  5. Lucas a raisin : tu es bien une petite fouille merde ! ^^
    Mais très bon article, bravo !

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  6. Certes, mais c'est comme ça que vous m'aimez ;)
    Merci "nine-father" :)

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