La Fédération Française de Rugby (FFR)
compte environ 450.000 licenciés sur le territoire, dont 12.000 femmes, soit
même pas 3%. Depuis la Coupe du Monde 2007, organisée en France, le nombre de
femmes licenciées est de plus en plus important, mais cette augmentation reste
cependant relativement lente et faible si on la compare aux autres sports,
notamment le basket, où 40% des licences étaient féminines !
Pour reprendre l’exemple des autres
sports, le rugby est certainement celui qui se développe le moins vite en
faveur des femmes. En effet, ces demoiselles jouent officiellement avec la
balle ovale depuis seulement les années 1970 (prenons pour note que le rugby a
vu le jour à la fin du XIXème siècle). Il n’est évidemment pas nécessaire de
préciser que leur pratique était très mal vue par leurs collègues masculins.
De nombreuses décennies après, en 2013,
on peut dire que les mentalités n’ont pas beaucoup plus évolué. Le rugby
féminin est toujours méconnu du grand public, sa médiatisation est inexistante,
et les regards extérieurs, notamment ceux des hommes, ne sont pas toujours
bienveillants. Actuellement, premier point d’inégalité avec le rugby masculin,
le professionnalisme n’existe pas chez les femmes, de quoi en faire bondir plus
d’une qui pourtant, s’investissent énormément !
Tout comme chez les garçons, il existe
plusieurs championnats, dont notamment le Top 10 (équivalent du Top 14, le
professionnalisme en moins) qui réunit les 10 clubs de l’élite rugbystique
féminine.
Jusqu’ici, malgré une large exaspération
de la part des pro-rugby féminin, tout allait bien, ou presque. Mais il y a peu, la FFR a
annoncé les réformes futures (pour la saison prochaine) qui vont bouleverser le
Top 10 qui deviendra le… Top 8 ! On peut facilement en déduire que cette
saison 2013/2014 est une saison de transition, une sorte de saison « trou ».
La FFR a d’ailleurs également d’ores et déjà mis en place des changements.
Explications !
Pour cette saison 2013 / 2014 :
Le Top 10 était jusqu’ici joué tout à
fait normalement, c’est-à-dire qu’une équipe jouait 9 matches en phase aller,
et 9 matches en phase retour, avant de passer (ou non), les phases finales.
Pour cette année, la FFR a décidé de séparer ce Top 10 en deux poules de 5
équipes dont voici la composition.
* Poule 1 *
Montpellier
Caen
Perpignan
AC Bobigny 93
Stade Bordelais
* Poule 2 *
Lille Métropole RC
Lons
Stade Rennais
Blagnac-Saint-Orens
La Valette-du-Var
Pour la saison prochaine, 2014 / 2015 :
Le Top 10 passe au Top 8 ! Deux
clubs seront donc, selon leur classement, évincés de ce championnat d’élite.
Les phases régulières seraient donc finalement très courtes et de nombreuses
joueuses qui se donnent corps et âme au rugby ne joueraient même pas 6 mois de
l’année (de septembre à janvier). Un scandale pour la plupart des dirigeants
des clubs féminins.
Suite à ces annonces, le web s’enflamme
et de nombreuses pétitions circulent sur la toile : la FFR est en train d’assassiner
peu à peu le rugby féminin. L’indignation, que ce soit dans le milieu
(entraineurs, joueuses, staff) ou chez les amateurs, s’est installée, et la FFR
est prise en grippe par les spectateurs, qu’ils soient féminins ou masculins.
En effet, certains grands noms du rugby français, comme Marc Lièvremont, pour
ne citer que lui, se sont indignés de ces décisions de la FFR et ont fait
savoir leur avis grâce à des interviews ou des pétitions.
D’un point de vue strictement personnel,
je pense que la FFR est en train de tuer à petits feux la pratique féminine.
Avec de tels modes de pensées (notamment auprès des supporters masculins) et de
tels remaniements, le rugby féminin ne connaîtra jamais la consécration qu’il
mérite pourtant.
Si ça vous intéresse, j'avais eu l'occasion d'interview la capitaine des Bleues, Marie-Alice Yahé, il y a 2-3 ans, dans laquelle elle exprimait son ressenti quant à la place du rugby féminin au sein du sport français. Vous pouvez (re)découvrir l'interview ICI.
Je vous propose maintenant de découvrir
ce que Jérémy Hierso, entraîneur de l’équipe féminine du Stade Bordelais,
actuellement en Top 10, pense de ces réformes.
L’interview a été réalisée par mail dans
la semaine du 16 septembre.
ARIANE PADAWAN : Depuis combien de
temps la Fédération Française de Rugby vous a-t-elle prévenu des modifications du Top 10 ?
JEREMY HIERSO : Les clubs ont été
prévenus à la fin du mois de juin à l’assemblée générale de la fédération.
Ensuite les clubs ont échangé tout l’été
pour essayer de changer la formule du championnat.
La FFR a reçu les clubs le 26 août mais
elle a toujours dit que la formule ne changerait pas parce qu’elle avait été
votée en comité directeur.
AP : Êtes-vous favorable à la
transformation du Top 10 en Top 8 ? Pourquoi ?
JH : Je suis favorable à un
changement de formule parce que le calendrier n’est plus adapté aux échéances
internationales. L’an dernier, pendant les phases finales des clubs, avait lieu
le championnat d’Europe à 7. Les joueuses étaient donc coincées entre l’envie
de vivre des phases finales avec leurs partenaires de club et la fierté de
représenter la France dans une compétition internationale.
Pour la formule j’aurai préféré
augmenter le nombre d’équipe avec deux poules de 6, mais la poule unique de 8
resserre l’élite. Cela garantit un minimum de 14 matchs à XV sur la saison et
jusqu’à 17 pour les finalistes. L’Angleterre fonctionne en top 8 et cela leur
réussit plutôt bien vu que cela fait 7 tournois des six nations qu’elles
remportent de suite dont 6 grands Chelem.
AP : Ces annonces brutales
modifient-elles votre manière de travailler pour cette saison et la suivante ?
JH : Non, cela ne modifie pas
fondamentalement notre manière de travailler. La volonté du club est de faire
évoluer toutes les joueuses et de leur permettre d’atteindre leur meilleur
niveau. C’est la philosophie que l’on s’est fixé depuis mon arrivée et elle
reste la même avec le changement de championnat. Nous allons avoir moins de
temps et on n’aura pas trop le droit à l’erreur si on veut se maintenir.
AP : Vos objectifs finaux ont-ils
changé suite à cette annonce des modifications ?
JH : L’objectif reste le maintien
pour les deux équipes, se classer dans les quatre premiers de la poule pour
rester dans le top 8 français. C’est notre deuxième saison dans l’élite et nous
avons beaucoup appris et progressé l’an dernier, il faut rester dans cette
dynamique. Sur un top 10 en poule unique, on a plus de matchs et donc plus de
temps, on peut essayer une jeune avec du potentiel plus facilement. C’est une
année de transition et il faut tout faire pour rester en top 8.
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Photo de Lise Anhoury. |
AP : Quel regard portez-vous sur le
rugby féminin, sur son avenir, son manque de médiatisation, etc... ?
JH : Le rugby féminin est
passionnant parce que ce n’est pas commun pour une femme de jouer au rugby. Cela
lui donne une motivation supplémentaire pour montrer à son entourage mais aussi
aux sceptiques qu’elles méritent leur place sur un terrain de rugby. Elles
s’engagent donc pleinement dans l’activité et c’est un plaisir pour un
entraîneur d’avoir des demoiselles qui sont motivées et à l’écoute.
Elles jouent pour le plaisir de jouer,
il n’y a pas d’argent et on retrouve le rugby amateur des garçons des années 80
avec la volonté de se dépasser et de tout donner pour vivre une aventure
humaine, sur et en dehors du terrain. Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas
compétitrices, bien au contraire, mais quel que soit le résultat on va passer du
bon temps ensemble parce que cela ne reste que du rugby.
Le rugby professionnel est indispensable
au développement de la pratique et c’est un spectacle de qualité qu’il faut
maintenir.
Pour l’avenir des filles au plus haut
niveau il faudra faire évoluer le statut des joueuses pour rivaliser dans les
compétitions internationales et bientôt les Jeux Olympiques. Pour l’instant elles
s’entraînent tous les jours mais cela ne suffira pas.
Le sport féminin est très peu médiatisé,
les ministères des sports et celui des droits des femmes travaillent pour
changer les choses mais c’est très long il y a toujours beaucoup de freins. Il
faut continuer d’espérer et suivre le chemin des sportives qui portent haut les
couleurs de la France comme les « braqueuses », les judokates, ou les nageuses
aux derniers jeux.
AP : Pensez-vous qu'avec ces
modifications de la FFR le regard porté sur le rugby féminin va changer ?
JH : Je ne pense pas, les
passionné(e)s seront toujours là et les personnes qui découvrent cette pratique
au hasard d’une rencontre sont presque toujours séduits par le rugby féminin.
Ils continueront à l’être. Le positif de la réforme est que la presse s’est un
peu intéressée aux féminines.
Un immense merci à Jérémy Hierso qui a
gentiment accepté de répondre à mes questions et qui m’a ainsi permis de mieux
cerner le problème, et surtout, de comprendre les avis ressentis au sein des
clubs qui, finalement, sont ceux qui sont le plus concernés. Ce billet sur le rugby féminin me tenait énormément à cœur, puisque je milite pour le développement du
rugby féminin en France et que, d’un point de vue strictement personnel, je
suis outrée des décisions prises par la FFR.