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samedi 21 septembre 2013

Le rugby féminin en crise

La Fédération Française de Rugby (FFR) compte environ 450.000 licenciés sur le territoire, dont 12.000 femmes, soit même pas 3%. Depuis la Coupe du Monde 2007, organisée en France, le nombre de femmes licenciées est de plus en plus important, mais cette augmentation reste cependant relativement lente et faible si on la compare aux autres sports, notamment le basket, où 40% des licences étaient féminines !

Pour reprendre l’exemple des autres sports, le rugby est certainement celui qui se développe le moins vite en faveur des femmes. En effet, ces demoiselles jouent officiellement avec la balle ovale depuis seulement les années 1970 (prenons pour note que le rugby a vu le jour à la fin du XIXème siècle). Il n’est évidemment pas nécessaire de préciser que leur pratique était très mal vue par leurs collègues masculins.
De nombreuses décennies après, en 2013, on peut dire que les mentalités n’ont pas beaucoup plus évolué. Le rugby féminin est toujours méconnu du grand public, sa médiatisation est inexistante, et les regards extérieurs, notamment ceux des hommes, ne sont pas toujours bienveillants. Actuellement, premier point d’inégalité avec le rugby masculin, le professionnalisme n’existe pas chez les femmes, de quoi en faire bondir plus d’une qui pourtant, s’investissent énormément !

Tout comme chez les garçons, il existe plusieurs championnats, dont notamment le Top 10 (équivalent du Top 14, le professionnalisme en moins) qui réunit les 10 clubs de l’élite rugbystique féminine.
Jusqu’ici, malgré une large exaspération de la part des pro-rugby féminin, tout allait bien, ou presque. Mais il y a peu, la FFR a annoncé les réformes futures (pour la saison prochaine) qui vont bouleverser le Top 10 qui deviendra le… Top 8 ! On peut facilement en déduire que cette saison 2013/2014 est une saison de transition, une sorte de saison « trou ». La FFR a d’ailleurs également d’ores et déjà mis en place des changements. Explications !

Pour cette saison 2013 / 2014 :
Le Top 10 était jusqu’ici joué tout à fait normalement, c’est-à-dire qu’une équipe jouait 9 matches en phase aller, et 9 matches en phase retour, avant de passer (ou non), les phases finales. Pour cette année, la FFR a décidé de séparer ce Top 10 en deux poules de 5 équipes dont voici la composition.

* Poule 1 *
Montpellier
Caen
Perpignan
AC Bobigny 93 
Stade Bordelais

* Poule 2 *
Lille Métropole RC
Lons
Stade Rennais
Blagnac-Saint-Orens
La Valette-du-Var

Pour la saison prochaine, 2014 / 2015 :
Le Top 10 passe au Top 8 ! Deux clubs seront donc, selon leur classement, évincés de ce championnat d’élite. Les phases régulières seraient donc finalement très courtes et de nombreuses joueuses qui se donnent corps et âme au rugby ne joueraient même pas 6 mois de l’année (de septembre à janvier). Un scandale pour la plupart des dirigeants des clubs féminins.

Suite à ces annonces, le web s’enflamme et de nombreuses pétitions circulent sur la toile : la FFR est en train d’assassiner peu à peu le rugby féminin. L’indignation, que ce soit dans le milieu (entraineurs, joueuses, staff) ou chez les amateurs, s’est installée, et la FFR est prise en grippe par les spectateurs, qu’ils soient féminins ou masculins. En effet, certains grands noms du rugby français, comme Marc Lièvremont, pour ne citer que lui, se sont indignés de ces décisions de la FFR et ont fait savoir leur avis grâce à des interviews ou des pétitions.
D’un point de vue strictement personnel, je pense que la FFR est en train de tuer à petits feux la pratique féminine. Avec de tels modes de pensées (notamment auprès des supporters masculins) et de tels remaniements, le rugby féminin ne connaîtra jamais la consécration qu’il mérite pourtant.
Si ça vous intéresse, j'avais eu l'occasion d'interview la capitaine des Bleues, Marie-Alice Yahé, il y a 2-3 ans, dans laquelle elle exprimait son ressenti quant à la place du rugby féminin au sein du sport français. Vous pouvez (re)découvrir l'interview ICI.

Je vous propose maintenant de découvrir ce que Jérémy Hierso, entraîneur de l’équipe féminine du Stade Bordelais, actuellement en Top 10, pense de ces réformes.
L’interview a été réalisée par mail dans la semaine du 16 septembre.

ARIANE PADAWAN : Depuis combien de temps la Fédération Française de Rugby vous a-t-elle prévenu des modifications du Top 10 ?
JEREMY HIERSO : Les clubs ont été prévenus à la fin du mois de juin à l’assemblée générale de la fédération.
Ensuite les clubs ont échangé tout l’été pour essayer de changer la formule du championnat.
La FFR a reçu les clubs le 26 août mais elle a toujours dit que la formule ne changerait pas parce qu’elle avait été votée en comité directeur.

AP : Êtes-vous favorable à la transformation du Top 10 en Top 8 ? Pourquoi ?
JH : Je suis favorable à un changement de formule parce que le calendrier n’est plus adapté aux échéances internationales. L’an dernier, pendant les phases finales des clubs, avait lieu le championnat d’Europe à 7. Les joueuses étaient donc coincées entre l’envie de vivre des phases finales avec leurs partenaires de club et la fierté de représenter la France dans une compétition internationale.
Pour la formule j’aurai préféré augmenter le nombre d’équipe avec deux poules de 6, mais la poule unique de 8 resserre l’élite. Cela garantit un minimum de 14 matchs à XV sur la saison et jusqu’à 17 pour les finalistes. L’Angleterre fonctionne en top 8 et cela leur réussit plutôt bien vu que cela fait 7 tournois des six nations qu’elles remportent de suite dont 6 grands Chelem.

AP : Ces annonces brutales modifient-elles votre manière de travailler pour cette saison et la suivante ?
JH : Non, cela ne modifie pas fondamentalement notre manière de travailler. La volonté du club est de faire évoluer toutes les joueuses et de leur permettre d’atteindre leur meilleur niveau. C’est la philosophie que l’on s’est fixé depuis mon arrivée et elle reste la même avec le changement de championnat. Nous allons avoir moins de temps et on n’aura pas trop le droit à l’erreur si on veut se maintenir.

AP : Vos objectifs finaux ont-ils changé suite à cette annonce des modifications ?
JH : L’objectif reste le maintien pour les deux équipes, se classer dans les quatre premiers de la poule pour rester dans le top 8 français. C’est notre deuxième saison dans l’élite et nous avons beaucoup appris et progressé l’an dernier, il faut rester dans cette dynamique. Sur un top 10 en poule unique, on a plus de matchs et donc plus de temps, on peut essayer une jeune avec du potentiel plus facilement. C’est une année de transition et il faut tout faire pour rester  en top 8.

Photo de Lise Anhoury.
AP : Quel regard portez-vous sur le rugby féminin, sur son avenir, son manque de médiatisation, etc... ?
JH : Le rugby féminin est passionnant parce que ce n’est pas commun pour une femme de jouer au rugby. Cela lui donne une motivation supplémentaire pour montrer à son entourage mais aussi aux sceptiques qu’elles méritent leur place sur un terrain de rugby. Elles s’engagent donc pleinement dans l’activité et c’est un plaisir pour un entraîneur d’avoir des demoiselles qui sont motivées et à l’écoute.
Elles jouent pour le plaisir de jouer, il n’y a pas d’argent et on retrouve le rugby amateur des garçons des années 80 avec la volonté de se dépasser et de tout donner pour vivre une aventure humaine, sur et en dehors du terrain. Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas compétitrices, bien au contraire, mais quel que soit le résultat on va passer du bon temps ensemble parce que cela ne reste que du rugby.
Le rugby professionnel est indispensable au développement de la pratique et c’est un spectacle de qualité qu’il faut maintenir.
Pour l’avenir des filles au plus haut niveau il faudra faire évoluer le statut des joueuses pour rivaliser dans les compétitions internationales et bientôt les Jeux Olympiques. Pour l’instant elles s’entraînent tous les jours mais cela ne suffira pas.
Le sport féminin est très peu médiatisé, les ministères des sports et celui des droits des femmes travaillent pour changer les choses mais c’est très long il y a toujours beaucoup de freins. Il faut continuer d’espérer et suivre le chemin des sportives qui portent haut les couleurs de la France comme les « braqueuses », les judokates, ou les nageuses aux derniers jeux.

AP : Pensez-vous qu'avec ces modifications de la FFR le regard porté sur le rugby féminin va changer ?
JH : Je ne pense pas, les passionné(e)s seront toujours là et les personnes qui découvrent cette pratique au hasard d’une rencontre sont presque toujours séduits par le rugby féminin. Ils continueront à l’être. Le positif de la réforme est que la presse s’est un peu intéressée aux féminines.


Un immense merci à Jérémy Hierso qui a gentiment accepté de répondre à mes questions et qui m’a ainsi permis de mieux cerner le problème, et surtout, de comprendre les avis ressentis au sein des clubs qui, finalement, sont ceux qui sont le plus concernés. Ce billet sur le rugby féminin me tenait énormément à cœur, puisque je milite pour le développement du rugby féminin en France et que, d’un point de vue strictement personnel, je suis outrée des décisions prises par la FFR.

8 commentaires:

  1. On ne parle pas du rugby féminin dans la presse, et si la FFR brûle à petit feu ce sport, ça ne risque pas de s'arranger ... On n'a qu'un match de rugby féminin dans l'année, c'est le fameux Crunch, et c'est sur France 4, donc y a pas énormément de pub non plus pour le rugby féminin.

    Je trouve assez lamentable que certains hommes considèrent encore que le rugby n'est pas fait pour les femmes. La majorité des autres sports dont on parle régulièrement laisse une grande part aux femmes, comme le basket, le hand et le foot. Pourquoi ne pas médiatiser ce sport, qu'est-ce qui empêche France 4 de nous diffuser en intégralité le Tournoi des VI Nations féminins ? Ils tentent bien de le faire avec les -20 ans, pourquoi pas les femmes ?

    " Le positif de la réforme est que la presse s’est un peu intéressée aux féminines. " Mouais, et demain, plus personne n'en parlera ... C'est dommage. Ca donne l'impression qu'il se passe un truc énorme dans le rugby féminin, donc on en parle, mais le reste de l'année, comme on se fait chier et que ça nous intéresse pas, on n'en parle pas ... J'ai l'impression qu'il se passe la même chose dans la têtes des dirigeants de la FFR. On dirait qu'ils se foutent complètement du rugby féminin !!

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  2. Une amatrice et joueuse de rugbyseptembre 23, 2013 6:55 AM

    Superbe article, et au nom de toutes les rugbywomen, merci pour ton soutien au rugby féminin !

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  3. Je suis choquée des propos que certains tiennent sur le rugby féminin. La plupart des attaques viennent des hommes, notamment les nombreux trolls sur Twitter. On a pu y constater, depuis environ 1/2 ans, que les moqueries sexistes y fleurissent de plus en plus.
    Heureusement il existe des personnes comme toi qui luttent pour faire bouger les choses et changer les mentalités. Un jour, peut être, on y arrivera !
    Merci pour ce billet !

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  4. C'est proprement dégeulase ! Et nous sommes au 21ème siècle !
    Cela prouve que le combat est loin d'être finit. Mais nous l'aurons notre égalité !

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  5. Malheureusement le regard ne change pas, oui. L'évolution aura peut-être lieu, mais je pense qu'elle sera longue et lente. Je suis papa d'une jeune fille de 14 ans passionnée de rugby qui joue depuis 2 ans. Etant moi même un grand passionné, j'ai été très heureux lorsqu'elle nous a annoncé à sa mère et moi qu'elle voulait faire du rugby. A aucun moment nous avons mis cette décision en doute sous prétexte que c'est un "sport de mecs", comme certains peuvent le penser. Il est évidemment qu'au sein de la famille, notamment chez les personnes âgées, les réactions n'étaient pas les mêmes, mais Julie (ma fille) avait tellement envie de jouer qu'elle a ignoré ces réflexions et est allée au bout de ce qu'elle voulait faire.
    Il est de toute façon impossible de lutter contre la passion d'un enfant et son envie de faire un sport, de se surpasser.
    Actuellement, elle fait partie de l'équipe type de notre ville et c'est avec une grande fierté que nous allons l'encourager pour tous ces matchs, ou presque.

    En tout cas, bravo pour cet article !

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  6. Tout est dit, excellent article ! Heureusement il existe en France de très bons clubs féminins mis en avant comme il se doit.

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  7. Les matchs féminins ne sont pas diffusés parce que la question de la médiatisation est une affaire de chèque avec un certain nombre de 0.

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  8. Hugo m'a conseillé de venir lire des articles de "fouine" alors je profite de ma journée de repos pour lire tout ça.

    Trèsbon article ! Heureusement qu'il existe de bons clubs masculins (Pro d2 ou top 14) qui mettent en lumière leur section féminine.

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