Source photo : L'Indépendant. |
Le dopage est une pratique qui remonte
aux premiers instants de vie du sport. Avec les avancées techniques et
médicales, la pratique est devenue de plus en plus courante, mais aussi
banalisée, dans un monde où le professionnalisme est la carotte pour tous les
jeunes sportifs.
La sphère du rugby a été frappée par un
scandale il y a quelques mois, en mars dernier. Françoise Lasne, directrice du
département des analyses de l’AFLD (Agence Française de Lutte contre le
Dopage), a publié une enquête dévoilant les sports les plus touchés par le
dopage en France en 2012. Si la plupart du grand public s’attendait à voir
arriver le cyclisme en tête du classement, c’est finalement le rugby qui
décroche la malheureuse première place du palmarès. Elle a précisé que le produit
qui était le plus souvent détecté était le cannabis. Après ces révélations, les
people du rugby se sont agités réglant leur compte par médias interposés.
Mourad Boudjellal, président de Toulon, a d’ailleurs déclaré : « On
parle de cannabis. Ceux qui prennent du cannabis savent qu’on ne peut pas
ensuite traverser un terrain avec ça. J’encourage donc cette dame à prendre du
cannabis pour savoir de quoi elle parle ». Provoc’ de la part du diablotin
du rugby qui essayait, tant bien que mal, de défendre le sport qu’il plébiscite, mais également pour son club qui
depuis plusieurs mois est dans la ligne de mire de l’AFLD.
Serge Simon. Source photo : L'Equipe. |
Les instances du rugby se sont également
rebellées de leur côté. Pierre Camou (FFR), Paul Goze (LNR) et Serge Simon
(président de Provale) ont publié un communiqué dans lequel ils se disaient
« choqués par les déclarations de Madame la Directrice du département des
analyses de l’AFLD et sur les interprétations qui en ont immédiatement été
faites ».
Une chose est sûre, le rugby est blessé
en plein cœur de ces résultats, lui qui se dit porteur de valeurs pour la vie,
aussi bien sur le terrain qu’en dehors.
Il ne faut pas oublier qu’en plus de
tricher et donc de bafouer les fondements du sport, un joueur dopé s’expose à
de graves conséquences pour sa santé.
Il existe 5 grandes familles de produits
dopants :
* les stimulants (amphétamine, cocaïne et autres dérivés)
* les
anabolisants (dérivés de la testostérone)
* les gluco-corticostéroïdes
(substances qui évitent la fatigue)
* les narcotiques (engourdissement de la
sensibilité musculaire)
* les bétabloquants (ralentissement du rythme
cardiaque).
Source photo : L'Humanité. |
Chacun de ce produits ont quelques
graves effets secondaires, tels que des troubles psychiques, des déchirures
musculaires, des troubles graves du foie, du système cardiovasculaire, une
dépendance, des dépressions, l’impuissance sexuelle, des cancers (cerveau,
foie, estomac) voire la mort.
Sur les 3 dernières années, de récentes
morts de jeunes joueurs amateurs (entre 13 et 19 ans) sont pointées du doigt.
Il se murmure que des produits dopants cités plus haut sont responsables de
leur décès. En effet, est-il normal qu’un jeune homme sans aucun
antécédent médical noté décède
brusquement ?
Si les conséquences sur la santé sont
connues de tous les joueurs, certains n’hésitent pourtant pas à sauter le pas
pour espérer pouvoir décrocher un contrat avec un club.
Bien qu’au premier plan et les premiers
concernés, peu de joueurs s’expriment sur le sujet. Le dopage reste
actuellement un sujet tabou dans le milieu du sport.
J’ai eu l’occasion d’interviewer trois
joueurs totalement différents venant de niveaux divers. Par soucis de
confidentialité, je partage avec vous ces trois entretiens en garantissant un
parfait anonymat aux joueurs contactés.
Joueur A
Top 14
24 ans
Ariane Piot : Les résultats de
l’enquête de l'Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD) vous ont-ils
surpris ?
Joueur A : En tout premier lieu
oui, puisqu’aucun joueur (du moins du club) n’a été mis au courant de cette
enquête et honnêtement, nous nous attentions tous à ce que le cyclisme soit le
premier sport touché. Malgré l’annonce brutale des résultats, il est important
que l’AFLD ait communiqué le « palmarès » des sports qui comptent le
plus de dopés car malheureusement de nombreux joueurs, surtout de jeunes
débutants cherchant à percer, encourent de graves soucis de santé en consommant
ces merdes. Mais personne ne s’attendait à un tel tollé et surtout un te
remue-ménage dans la sphère rugby.
AP : Avez-vous déjà pris des
produits dopants depuis que vous jouez ?
Joueur A : Non. Depuis que je joue,
mon médecin m’a toujours averti des risques que je prenais si je me dopais.
Etant un peu hypocondriaque et flippé, j’ai préféré me tenir à l’écart de tout
ça !
Mais quand j’étais gamin, vers 12-13
ans, un des membres du staff du club dans lequel j’évoluais parlait de choses
un peu glauques aux mômes, surtout à ceux qui avaient comme ambition de faire
du rugby leur vie. Dont moi, entre autres…
AP : Des « choses
glauques », c’est-à-dire ?
Joueur A : Des produits circulaient
pas mal dans les vestiaires. Parfois c’était même le staff médical qui abordait
le sujet, comme quoi nous serions plus
forts, plus performants, plus musclés et donc plus doués.
AP : Et c’était quel type de
produits ?
Joueur A : Je ne suis pas un as du
dopage, mais les produits étaient les produits classiques, comme des hormones
de croissance ou des stéroïdes anabolisants.
AP : Mais en vous proposant de
telles choses, étaient-ils bien conscients qu’ils exposaient des mineurs à l’illégalité
et à une certaine dangerosité ?
Joueur A : Normalement oui, des
adultes savent pertinemment les risques auxquels ils s’exposent, eux et leurs
joueurs.
AP : Vos coéquipiers en avait-il
consommé ?
Joueur A : Certains oui. Mais
personne ne les a soupçonnés donc ils s’en sont allégrement sortis, sans
bavure. Dans mon club actuel, je n’ai aucun doute sur la « propreté »
des joueurs. En même temps à notre niveau, il serait suicidaire de jouer avec
le feu et de s’exposer à de lourdes peines pour quelques facultés physiques
supplémentaires.
AP : La pression du
professionnalisme ne vous a-t-elle jamais donné envie de prendre des produits
dopants afin de rester au mieux de votre forme ?
Joueur A : Jamais. Le
professionnalisme ne m’a jamais fait peur, et il me fait actuellement vivre,
aussi bien financièrement que spirituellement. Je suis fier d’être là où j’en
suis actuellement, puisque j’y suis arrivé avec la sueur de mon front, et non
pas avec l’aide de stéroïdes. Je dois ma venue au club à mon travail.
AP : Les contrôles anti-dopage mis
en place par sont-ils efficaces et font-ils réellement peur aux joueurs
professionnels ?
Joueur A : Il est évident qu’aucun
joueur n’aime être dérangé chez lui le week-end à 9 heures du matin, mais il
faut se faire aux règles, c’est comme ça. Le « test-pipi » n’est pas
agréable, mais si le joueur n’a rien à se reprocher, ce test se fait rapidement
et les contrôles sont vite oubliés. Après, avec les grandes sanctions que
l’AFLD promet, il est clair qu’il est très périlleux de prendre le risque de se
faire coincer, et je pense qu’une grande majorité des joueurs professionnels
l’ont compris.
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Joueur B
Fédérale 1
22 ans
Ariane Piot : On sait actuellement
que le rugby est le sport en France le plus touché par le dopage. Selon vous,
ces consommations illégales sont-elles plus fréquentes à haut niveau ou en
fédérale ?
Joueur B : Certainement en
fédérale, car les contrôles sont moins stricts et moins fréquent qu’en Top 14,
par exemple, où certains joueurs peuvent être contrôlés plusieurs fois en
quelques mois à peine. Mais il y a quand même une certaine surveillance en
fédérale, n’exagérons rien !
AP : Ces fameux résultats vous
ont-ils étonné ?
Joueur B : Oui et non. Oui parce
que tout le monde s’attendait à ce que l’athlé ou le cyclisme décroche la
médaille d’or du dopage. Et non parce que cette enquête prenait aussi en compte
les joueurs amateurs. Or il n’est pas inconnu du grand public que quelques
jeunes joueurs ont plusieurs fois consommé des produits leur permettant d’être
plus résistants à l’effort. Mais il faut aussi prendre en compte que cette
enquête compte comme produits dopants le cannabis, par exemple. Je ne dis pas
qu’il est bien de fumer du cannabis, mais à titre personnel, je ne pense pas
que ce soit un produit dopant et beaucoup de jeunes (rugbymen ou non) en ont
déjà consommé.
Source : Rugbyrama. |
AP : Durant tout votre parcours
dans le sport, avez-vous déjà consommé des produits dopants ?
Joueur B : Jamais. J’ai été éduqué
dans l’optique qu’il faut bosser pour récolter ce à quoi on aspire. Je joue au
rugby depuis que je suis tout gamin (7 ou 8 ans) et même si plusieurs fois j’ai
connu des passes difficiles, je n’aurais jamais pensé à consommer ce genre de
choses. Et puis j’aurais trop peur de me faire chopper ! Et de toi à moi,
connaissant certains membres de ma famille, notamment ma mère et ma sœur, si je
m’étais dopé, la sanction de la lutte contre le dopage aurait été minime face à
celle infligée par mes proches !
AP : Et vos coéquipiers, que ce
soit dans votre équipe actuelle ou les précédentes ?
Joueur B : Je ne suis pas le genre
d’individu qui pratique la délation.
AP : Ça veut dire oui ?
Joueur B : Peut-être.
AP : Comment pourrait-on lutter
contre le dopage ?
Joueur B : Il y a deux solutions
complémentaires : imposer des contrôles plus fréquents et surtout, des
sanctions plus lourdes. Selon moi, un joueur qui a triché ne devrait plus avoir
le droit de pratiquer, quel que soit le sport.
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Joueur C
Fédérale 2
17 ans
Ariane Piot : La Fédérale 2
est-elle plus touchée par le dopage que les divisions supérieures ?
Joueur C : Je pense que oui.
Malheureusement, plus on descend dans les divisions, et plus les gars se
battent presque entre eux pour pouvoir se faire une place, un nom dans le
milieu. Plusieurs ont succombé à la tentation et ont été recrutés par des plus
gros clubs. Mais il ne faut pas non plus penser que le dopage ne touche que les
« petits jeunes » de fédérale ou des centres de formation !
AP : Avez-vous déjà consommé des
produits dopants ?
Joueur C : Oui, pendant plusieurs
mois.
AP : Quels types et comment
vous les êtes-vous fournis ?
Joueur C : Des anabolisants,
achetés sur internet.
AP : Actuellement, quelqu’un de
votre entourage (perso ou rugbystique) est-il au courant ?
Joueur C : Non.
Source photo : Rugby the best. |
AP : Pas peur de vous faire coincer ?
Joueur C : Je n’en consomme plus
depuis pas mal de temps, donc je ne pense pas que l’AFLD (Agence Française de
Lutte contre le Dopage) puisse remonter jusqu’à moi.
AP : Vous n’éprouvez donc aucun
sentiment de culpabilité ?
Joueur C : J’ai arrêté, on peut
dire que c’était une erreur de jeunesse. Quand j’ai appris que ces produits
pouvaient avoir de graves effets sur la santé, j’ai immédiatement espacé les
prises pour finalement les arrêter.
AP : Avec du recul, quel regard
portez-vous sur la pratique du dopage ?
Joueur C : Comme je t’ai dit tout à
l’heure, beaucoup de jeunes joueurs entre 14 et 19 ans sont victimes d’une
pression gigantesque sur les épaules. On doit être bons partout : en
cours, au rugby, en dehors du terrain, dans les relations amicales,
familiales,… Malheureusement, pour supporter ce stress, des jeunes consomment
ces choses. Mais pour être tombé là-dedans, je peux témoigner que c’est mal. On
vit dans la peur de se faire contrôler et donc de sombrer.
J’espère que les chiffres baisseront et
que le rugby sera moins touché par le dopage.
>> Un énorme merci aux 3 joueurs qui ont
accepté de répondre à mes nombreuses questions. Merci pour leur patience, leur
confiance et leur sympathie.
Très bon article comme toujours !
RépondreSupprimerArticle très complet et très bien documenté.
Sujet épineux, mais non sans importance. C'est pour ça qu'il est important d'en parler aussi bien dans les blogs que dans les média. Il faut briser le tabou pour éradiquer le problème.
RépondreSupprimerC'est inquiétant de voir que des produits illégaux circulent aussi facilement et qu'il est aisément possible de s'en procurer. J'ai toujours eu une certaine animosité face aux dopés : un tricheur devrait être plus gravement puni.
RépondreSupprimerEn tout cas félicitations pour cet article très complet qui a du te prendre beaucoup de temps pour réunir toutes les infos et les propos des joueurs.
Très bon boulot !
(oui, commentaire très matinal mais Hugues n'est pas très discret quand il se lève le matin !)
A force de fouiner comme ça tu vas être embauchée par Elice Lucet, pour "Cash Investigation" !
RépondreSupprimerJe suis encore une padawan du fouinage, j'ai beaucoup à apprendre ;)
SupprimerDans le même genre, il y a aussi Marie Drucker qui aime fouiner ahah
Lucas a raisin : tu es bien une petite fouille merde ! ^^
RépondreSupprimerMais très bon article, bravo !
Certes, mais c'est comme ça que vous m'aimez ;)
RépondreSupprimerMerci "nine-father" :)